Le panafricanisme est devenu un mot-refuge. Un mot qui rassure, qui unit, qui fait vibrer. On le brandit comme un talisman dès que la réalité devient trop dure à analyser. Pourtant, à force d’être répété sans être pensé, il s’est vidé de sa substance stratégique. Il est devenu émotionnel avant d’être opérationnel. Et c’est précisément là que commence le problème.
À l’origine, le panafricanisme était un projet politique et intellectuel sérieux. Il posait des questions concrètes de pouvoir, d’économie, de souveraineté, de coordination entre États africains. Aujourd’hui, il est trop souvent réduit à des slogans, des drapeaux, des discours enflammés et des indignations collectives. Beaucoup parlent d’unité, mais peu expliquent comment des économies différentes, des intérêts nationaux divergents et des structures étatiques fragiles peuvent réellement converger.
L’émotion est confortable. Elle donne l’impression d’agir sans le coût de la réflexion. Dire “l’Afrique doit s’unir” est facile. Expliquer par quels mécanismes institutionnels, juridiques, militaires et économiques cette union est possible l’est beaucoup moins.
L’émotion rassemble sur le moment, mais elle ne construit rien dans la durée. J l’ai dit maintes fois : la foule ne réfléchit pas.
L’histoire est claire : aucun espace géopolitique puissant ne s’est bâti sur des slogans. L’Europe ne s’est pas unifiée par amour, mais par intérêts négociés, parfois douloureux, souvent conflictuels.
Le panafricanisme émotionnel fonctionne comme une anesthésie intellectuelle. Il empêche de poser les questions qui fâchent.
Pourquoi les échanges intra-africains restent faibles ?
Pourquoi les États africains se font concurrence plutôt que coopération ?
Pourquoi les élites parlent d’unité tout en protégeant jalousement leurs rentes nationales ?
Ces questions sont stratégiques. Les éviter au nom de “l’unité” revient à saboter le projet qu’on prétend défendre.
Dans la guerre économique mondiale, personne ne respecte les émotions. Les rapports de force se construisent sur la productivité, la technologie, la discipline institutionnelle, la cohérence fiscale et la maîtrise des chaînes de valeur.
Aucun pays n’investit parce que tu es en colère. Aucun partenaire ne négocie sérieusement avec des slogans. Le monde écoute ceux qui arrivent avec des chiffres, des plans, des capacités et une vision claire de leurs intérêts.
Il faut aussi le dire sans détour : le panafricanisme émotionnel est souvent un refuge pour éviter l’autocritique. Accuser l’extérieur est plus simple que d’analyser nos propres faiblesses internes.
Pourtant, les pays qui ont réussi leur transformation ont commencé par regarder leurs limites en face. Le Japon de l’ère Meiji, la Corée du Sud d’après-guerre, la Chine post-1978 n’ont pas bâti leur puissance sur la colère, mais sur une lecture froide du monde et d’eux-mêmes.
Un panafricanisme stratégique serait autre chose. Il parlerait d’industries communes, de normes partagées, de politiques commerciales coordonnées, de protection intelligente des marchés, de circulation maîtrisée des compétences et des capitaux.
Il accepterait que l’unité ne signifie pas l’uniformité. Il reconnaîtrait que certains pays avancent plus vite que d’autres, et que cela peut être une force si c’est organisé, pas un tabou à cacher.
Aimer l’Afrique n’est pas un programme politique. Être indigné n’est pas une stratégie économique. Chanter l’unité ne crée pas de puissance. La puissance se construit dans le silence des institutions qui fonctionnent, dans la rigueur des choix difficiles, dans la capacité à sacrifier le confort émotionnel au profit de l’efficacité collective.
La vraie question n’est donc pas de savoir si le panafricanisme est bon ou mauvais, on voit d’ailleurs comment cela se passe avec les pseudos. La vraie question est celle-ci : voulons-nous un panafricanisme qui fait du bruit, ou un panafricanisme qui produit des résultats ?
Tant que les slogans remplaceront la stratégie, l’illusion continuera. Et l’illusion ne développe aucun continent.
Je vous laisse réfléchir.