L’argent est l’un des sujets les plus mal compris dans nos sociétés. On le désire, on le craint, on le critique, mais on en parle rarement avec lucidité. Il est à la fois perçu comme une bénédiction et comme une faute morale. Cette ambivalence crée une relation malsaine qui freine lourdement toute dynamique de développement.
D’un côté, l’argent est entouré de tabous. En parler ouvertement est souvent jugé indécent. Expliquer comment on gagne sa vie dérange. Afficher une réussite matérielle attire soupçons et jugements.
De l’autre, l’absence d’argent est presque normalisée, parfois même valorisée, comme si le manque était une preuve d’humilité ou de vertu. KO plus tu souffres ici, plus ta vie sera meilleure au paradis après la mort. Ammingan, imagine toi avec 72 vierges – oubliant qu’on te rappelle qu’en esprit on ne fait pas de distinction de sexe.
Cette contradiction produit des effets destructeurs. Ceux qui réussissent apprennent à se cacher. Ils minimisent leurs succès, par peur d’attirer la jalousie ou les sollicitations permanentes. Ceux qui échouent se consolent en méprisant la réussite des autres. Et entre les deux, une société entière hésite à assumer une ambition saine.
Dans ce climat, l’argent cesse d’être un outil pour devenir un poison relationnel. Il divise les familles, fragilise les amitiés, nourrit les suspicions. Aider financièrement devient risqué, car l’aide est rarement temporaire. Refuser devient une offense. Donner trop, c’est créer une dépendance. Ne pas donner, c’est être accusé d’égoïsme.
Pourtant, dans les sociétés qui avancent, l’argent est traité avec sobriété et clarté. Il est un moyen, pas une identité. On apprend à le gérer, à l’investir, à le faire circuler intelligemment. La réussite n’y est pas une provocation, mais une source d’inspiration. Elle montre ce qui est possible.
Chez nous, le rapport malade à l’argent empêche la création de richesse durable. On consomme ce qui devrait être investi. On partage ce qui devrait être structuré. On dépense pour paraître, mais on hésite à bâtir. Et lorsque l’argent manque, on accuse le système, sans jamais questionner notre relation intime à la richesse. Ko la tante Djakee a mis ses yeux de sorcière dans ma vie et tout est parti.
Corriger cela demande un changement profond de mentalité. Accepter que gagner de l’argent honnêtement n’est ni une trahison ni une honte. Comprendre que la pauvreté n’est pas une vertu et que la richesse n’est pas un crime. Enseigner la gestion financière comme une compétence essentielle, au même titre que l’éducation ou la santé.
Un pays ne se développe pas avec la peur de l’argent, mais avec sa maîtrise. Tant que l’argent sera diabolisé ou mystifié, il continuera à nous diviser au lieu de nous élever.