Dans beaucoup de sociétés africaines, le diplôme est devenu une fin en soi. Il est brandi comme une preuve ultime d’intelligence, de compétence, parfois même de supériorité morale. Plus le papier est rare, plus il confère du prestige. Pourtant, cette confusion entre diplôme et instruction est l’un des pièges les plus coûteux pour le développement intellectuel et économique.

Un diplôme certifie que tu as suivi un parcours. Il ne certifie pas que tu comprends le monde. Il valide ta capacité à respecter un programme, à répondre à des attentes académiques, à restituer des connaissances dans un cadre donné.

Être instruit, en revanche, signifie être capable d’analyser une situation nouvelle, de relier des informations, de penser par soi-même et d’agir avec discernement face à la complexité du réel.

L’école, héritée en grande partie des modèles coloniaux, a été conçue pour produire des exécutants compétents, pas des stratèges. Elle récompense la mémorisation, la conformité et la reproduction fidèle des savoirs. Elle sanctionne rarement l’esprit critique, la remise en question ou l’originalité intellectuelle.

Résultat : des générations de diplômés capables de réciter, mais souvent mal préparés à comprendre les mécanismes profonds de l’économie, du pouvoir et de la société.

On observe alors un paradoxe troublant. Des pays remplis de diplômés, mais pauvres en solutions. Des administrations pleines de cadres, mais inefficaces. Des débats publics dominés par des titres académiques plutôt que par des arguments solides. Le diplôme devient un bouclier symbolique, utilisé pour clore une discussion plutôt que pour l’enrichir.

Être instruit, c’est savoir poser les bonnes questions, pas seulement donner les bonnes réponses. C’est comprendre pourquoi une politique échoue, pourquoi une entreprise ne crée pas de valeur, pourquoi une société stagne malgré les réformes. Cette capacité ne vient pas automatiquement avec un diplôme. Elle vient de la confrontation des idées, de la lecture critique, de l’expérience, de l’observation rigoureuse du réel.

Les pays qui ont réussi leur transformation ne se sont pas contentés de produire des diplômés. Ils ont produit des penseurs opérationnels. Des ingénieurs capables d’adapter des technologies, pas seulement de les importer. Des économistes capables de lire les rapports de force mondiaux, pas seulement de réciter des modèles. Des décideurs capables d’anticiper, pas seulement de gérer l’existant.

Le danger n’est donc pas l’absence de diplômes. Le danger, c’est l’illusion que le diplôme suffit. Cette illusion crée une élite satisfaite d’elle-même, mais déconnectée des réalités concrètes. Une élite qui confond reconnaissance institutionnelle et intelligence stratégique.

Être instruit, c’est accepter de continuer à apprendre en dehors des cadres officiels. C’est lire sans vénérer, écouter sans répéter, analyser sans se cacher derrière un titre. C’est comprendre que le monde évolue plus vite que les programmes scolaires, et que la pensée doit rester mobile pour rester pertinente.

La vraie question n’est donc pas “quel est ton diplôme ?”

La vraie question est : qu’es-tu capable de comprendre, d’expliquer et de transformer sans te réfugier derrière un titre ?

Un diplôme ouvre des portes.

L’instruction ouvre les yeux.